PASSE ET PRESENT DU TRIANGLE BLEU D'ARLES

"(...) Ainsi a été conçue cette étroite imbrication des trois fonctions que sont la présentation d'une collection publique, le travail d'un institut de recherche scientifique et une aile culturelle consacrée à l'accueil et à la documentation, que le talent d'Henri Ciriani a parfaitement exprimée dans la forme d'un sublime triangle équilatéral"

Jean-Maurice ROUQUETTE, Conservateur en Chef des Musées d'Arles en 1995

Extrait de l'article "Du Musée Public des Antiquités aux Alyscamps, au Musée de l'Arles Antique sur la presqu'île du Cirque romain" publié dans le Dossier de presse distribué lors de l'inauguration du bâtiment en mars 1995

Que reste-t-il du "sublime triangle équilatéral" aujourd'hui que le service construction du Département lui a justaposé un  appendice disgracieux dénaturant la figure qui devait être éternelle, comme sont éternels les monuments d'Arles? En effet, le Département des Bouches du Rhône --avec la complicité de Claude Sintès et du Ministère de la Culture-- a transformé un futur monument en un bâtiment de plus que l'histoire de l'architecture ne retiendra pas, que ce ne soit pour prouver que la France ne respecte pas les droits d'auteur lorsque le domaine public est concerné.

M. Espejo, 22 décembre 2017

EXPOSITION 1977-2017 ARCHITECTURES D'INTERET PUBLIC EN PROVENCE ALPES COTE D'AZUR

Invité par le Conseil régional de l'Ordre des architectes de la région P.A.C.A. a participer à l'exposition qu'il prépare en partenariat avec la DRAC, la Maison de l'Architecture et de la Ville et les CAUE, voici ce que Henri Ciriani a répondu:


"Chère Audrey Gatian,
La trahison du Département des Bouches du Rhône, avec la complicité de Claude Sintès, a représenté un coup sévère dont je n'arrive pas à me remettre cinq ans après.
Le premier jugement du T.G.I. de Marseille, tout en me donnant raison, n'obligea pas les responsables du massacre à rétrocéder.
Et la Cour d'Appel d'Aix leur donna raison!
Nous ne savons pas ce que la Cour de Cassation en dira mais j'ai peur que le bâtiment que j'ai mis si longtemps à concevoir et parachever ne retrouvera jamais son état d'origine. Aucune des trois façades n'a été épargnée, l'oeuvre est dénaturée à jamais!
Pour moi désormais il s'agit de faire savoir à tous que le Musée départemental Arles Antique n'est plus mon oeuvre. Ce qui gît désormais à sa place est un affront à la culture et je refuse que mon nom soit lié à ce crime. Je réfléchis à la manière d'en informer les générations futures et remercie, au passage, le Conseil National de l'Ordre de m'accompagner dans ma démarche pour une défense des droits d'auteur dans notre pays.
Puisse votre présentation servir à cette fin. C'est dans ce sens que j'accepte que vous publiiez la photo représentée dans votre message. S'il était d'aventure possible d'ajouter une mention qui aille dans le sens de ce qui précède, ce serait encore mieux.
Recevez, Madame, mes sincères salutations.
Henri Ciriani
P.S. Je vous remercierais de ne pas appeler mon bâtiment le "projet initial" mais plutôt le "projet d'origine" ou le "projet de Ciriani"


L'Ordre, par la voix d'Audrey Gatian, estime que le bâtiment conçu par Henri Ciriani pour le Musée d'Arles est "un des bâtiments emblématiques des équipements culturels et institutionnels de la décennie 1987-1997."

Ce n'est semble-t-il l'avis des juges de la Cour d'Appel d'Aix puisqu'ils ont jugé en faveur du Département. Seraient-ils si peu cultivés ? Ne se sont-ils pas renseignés au moment de l'étude du dossier? Ont-ils le patrimoine français si peu en estime qu'ils tolèrent qu'une oeuvre "emblématique" soit dénaturée?
 
Mais si l'on peut admettre que les juges n'aient pas de culture, alors que faut-il penser du ministère de tutelle, celui dont la mission est de sauvegarder le patrimoine culturel français? Consultées par le Département des Bouches du Rhône, qui souhaitait inclure Arles dans les festivités de Marseille "capitale européenne de la culture 2013", deux administrations ont validé la décision du Conseil Général de procéder à une extension sans faire appel à l'auteur de l'oeuvre originale: celle dirigée par Frédéric Mitterrand en 2011-2012 et celle d'Aurélie Filipetti à partir de 2012.

Comment exiger de la Justice qu'elle soit juste si la Culture n'est pas cultivée?

Marcelle Espejo Ciriani
12 août 2017

VOYAGE AU CŒUR DE LA « MACHINE À ÉMOUVOIR »

par Patricia Ciriani, 2000


Musée d’archéologie, à Arles (sud de la France)

Architecte Henri Ciriani

En venant de l’antique ville d’Arles, après s’être emmêlé les pieds dans un échangeur autoroutier, on aperçoit, au fond d’un champ planté d’arbres, une longue lame d’un bleu profond surgir de terre avec la force tellurique d’une plaque d’acier de Richard Serra. S’approchant au pied de cet énigmatique signal qui miroite d’étranges reflets bleutés, on dépasse un grand arc de cercle en béton brut qui découvre l’excavation d’un cirque romain, sur lequel poussent aujourd’hui les herbes folles et diverses autoroutes. De la paroi bleue sertie de cuivre, quelques volumes blancs vitrés jaillissent sur pilotis. L’espace dégagé au-dessous est entièrement vitré à l’exception d’un noyau cylindrique vert qui monte au toit-terrasse – ce fragment évoque la Villa Savoye de Le Corbusier. Mais on serait bien en peine de trouver une référence connue à ces portiques monumentaux décrits par la paroi en ses deux extrémités. Contournant l’édifice, la paroi bleue se dédouble, une autre pointe apparaît, percée d’un gigantesque rectangle qui cadre le paysage proche. Cent trente mètres plus loin, on découvre un autre angle travaillé dans son articulation avec un écran-portique bleu, d’où se détache, autonome, un long bâtiment rouge brique. Les trois parois se comprennent alors comme les trois faces d’un même triangle, disposées en hélice autour d’un noyau central d’où émergent deux ailerons de béton brut.
De ce tour d’horizon, quelques ouvertures vitrées permettent tout juste d’entrevoir à l’intérieur quelques vestiges datant de l’époque romaine, qui constituent la collection la plus conséquente de toute la Provence française. L’enveloppe rectiligne fait écran aux fonctions internes au bâtiment, qui s’annoncent cependant à travers ce jeu d’évidements et de saillies.

La visite de l’intérieur révèle la nature des questions soulevées par l’architecte. L’entrée distribue les principales fonctions de l’édifice sur quatre cents mètres carrés ; sa position centrale de passage pour les touristes et personnels du musée, les différents volumes en hauteur qui la constituent, la lumière naturelle qui la baigne, tout contribue à lui donner la qualité d’un grand espace urbain intérieur. Parallèlement, on retrouve les couleurs extérieures à l’intérieur, et l’on comprend qu’elles servent un but programmatique tout autant qu’esthétique ou symbolique :  le rouge pompéien, à gauche de l’entrée, invite les fouilleurs de terre  à rejoindre leur aile scientifique ; sur la droite, le bleu cristallin donne une qualité d’extérieur lumineux à la rue intérieure de l’aile culturelle qui mène les étudiants et conservateurs à la bibliothèque et à l’auditorium. Mais c’est le parcours muséal qui donne toute la mesure des recherches sur la spatialité que poursuit Henri Ciriani depuis plus de trente ans.
Le musée est constitué d’un grand espace déployé d’un seul tenant et de plain-pied qui se déroule autour du patio triangulaire vitré d’où émergent les deux triangles verticaux qui contiennent l’escalier de la terrasse-belvédère. Un plan d’eau dispense dans le patio de tranquilles reflets qui renforcent l’effet de cloître. On se laisse déambuler au gré des compressions et dilatations spatiales qui rythment le parcours muséographique. La lumière vient se colorer à proximité des parois teintes, comme ce rouge de la paroi contiguë à la salle des mosaïques et à l’aile scientifique, qui vient nimber toute la salle des sarcophages paléochrétiens. Les cadrages sur le paysage alentour offrent autant de tableaux à la contemplation du visiteur, protégé dans cette bulle culturelle où il fait si bon naviguer dans la fluidité de l’espace maîtrisé. La promenade architecturale se prolonge en hauteur, sur la terrasse d’où le visiteur comprend toute l’organisation interne du bâtiment ainsi que le dispositif d’éclairage par les sheds orientés au nord. La vue imprenable sur Arles et ses environs permet de mieux discerner la forme triangulaire du terrain, cerné par le Rhône, le Canal de Marseille, et le cirque du côté de la ville. Le musée s’insère ainsi naturellement dans le site, où il réussit à faire la liaison entre la ville historique et les nouveaux quartiers qui se développent au-delà de l’autoroute.

C’est à un véritable parcours initiatique à travers les paradigmes de l’architecture que nous convie Henri Ciriani. Son travail minutieux sur les matériaux, la lumière, l’espace, les couleurs, s’offre à nous dans un dialogue didactique qui cherche à rationaliser les processus générateurs d’émotion. Libre à nous, par la suite, de rester captifs de la fine silhouette lumineuse du musée qui transforme à la nuit tombée le paysage en un tableau de Edward Hopper. Une concentration brève de présence urbaine qui laisse percevoir son étrangeté.


Pour plus d’information sur l’œuvre de Henri Ciriani, se reporter aux monographies suivantes :
. Henri Ciriani, Institut Français d’Architecture/ Electa Moniteur, Paris, 1984. Textes de François Chaslin, Kenneth Frampton, Haig Beck, Javier Cayo Campos…(traduction en coréen)
. N° spécial de L’Architecture d’Aujourd’hui, Paris, n° 282, septembre 1992.
. N° spécial de Plus, Séoul, n°96, avril 1995.
. Luciana Miotto, Henri Ciriani Cesure urbane e spazi filanti, coll. Bruno Zevi Testo e Immagine Torino 1996 (traductions en français, anglais et espagnol)
. Henri Ciriani, éd. Rockport Publishers, Rockport, Mass., 1997. Préface de Richard Meier et introduction de François Chaslin (traduction en japonais)
. Ciriani, collection Paroles d’architecte, édité par jean Petit, Editions Fidia Lugano 1997 (traduction en italien)
. Mauro Galantino Henri Ciriani Architetture 1960-2000, Editions Skira Milano 2000 (traduction en anglais et français)
. Jean Petit Ciriani lumière d’espace Editions Fidia Lugano 2000