LE BULLETIN DES INFORMATIONS ARCHITECTURALES N°189 DEC.1995

Le musée de l'Arles antique
(pages 8-9)
"Ils avaient un ovale, un demi-cercle, je leur ai fait un triangle", par cette déclaration dont l’ardeur provocatrice n’aura pas trompé les aficionados tout en laissant les autres pantois, Henri Ciriani annonce le geste enfin abouti : le musée de l’Arles Antique est inauguré en mars 1995.


L’aventure remonte au début des années 80, Jean-Pierre Camoin, dynamique jeune maire, brûle de donner à sa ville, classée au patrimoine mondial, un musée à la hauteur de son patrimoine ; car tout le quotidien des Arlésiens foule aux pieds l’histoire : les excavations d’un parking mettent à jour des vestiges d’habitat. On déplace alors le projet de quelques centaines de mètres, mais le scénario se répète. Le Crédit Agricole veut agrandir sa salle des coffres : apparaissent des mosaïques, vestige des splendeurs d’une villa. Remettant ses travaux, la banque conviera un dimanche toute la ville à admirer les pavages, in situ. On cure les fossés, gratouillant vaguement les bords d’un talus, et on dégage deux sarcophages splendides... Il fallait bien un écrin à tant de merveilles : un grand concours d’architecture est lancé pour l’accueil de ces vestiges, enrichi d’une mission éducative et de recherche articulant les fouilles en cours dans la région. Un site est retenu, au bord du fleuve, ancien emplacement d’un cirque romain disparu ayant laissé quelques traces enfouies, entre le vieux quartier des pêcheurs et la ZUP locale. Ce lieu est magique côté Rhône car la rive est libre, brute et annonce la Camargue, mais délaissé côté vieille ville parce que les ingénieurs, dans les années 70, ont appuyé l’autoroute franchissant le fleuve en limite même du bâti ancien, élevant une barrière difficile à oublier dans le paysage. C’est auprès de ce cirque romain, jusqu’alors enseveli en partie au cœur d’un échangeur, et aujourd’hui promu trait d’union entre la ville et son musée, qu’Henri Ciriani est venu déposer ce dernier, une lame de prisme habillée de plastique bleu.


Entrons, les bonnes surprises sont à l’intérieur. Sobriété, rigueur dans l’usage du luxe discret des matières, tout convie le visiteur à un moment de qualité. Le plan est simple, la figure triangulaire extérieure est évidée d’un patio tout aussi triangulaire. Dédoublant l’épaisseur du bâtiment de part et d’autre de l’entrée se localisent, d’une part les ateliers destinés à la conservation et à l’exploitation des matériaux provenant des fouilles, de l’autre les locaux accueillant les activités de recherche dont une bibliothèque. La partie parallèle au fleuve est consacrée dans toute son épaisseur aux collections. Le parcours s’y déroule sans limite, sans cloisons, sans salles, dans une fluidité ordonnée par le pannotage de bois des vitrines et des boîtes de maquettes, à simple hauteur d’yeux. En haussant le regard on découvre à tout instant ce qui fait la suite de la visite, et on change d’échelle sans effort entre la minutie des explications didactiques et la puissance des vestiges exposés. Côté fleuve, à tout instant, des vues et des jours en encadrent le miroitement. Par une cascade d’ouvertures, sophistication de sheds ici arrondis, l’architecture réussit à convertir la lumière torride d’un après-midi d’été en un jour doux et chaleureux. Les couleurs primaires de la Modernité ont prix dans le musée un bain de soleil et d’histoire, elles chantent sur les murs intérieurs des harmonies pompéiennes, formant accord avec les panneaux d’un béton soigneusement banché, le ciré gris du sol et le blanc des plafonds. Le patio central insinue la lumière au cœur du bâtiment. Minéral, accessible par l’intérieur du musée, il contient en son centre le totem : un double triangle en béton qui enserre un escalier desservant la toiture-terrasse, qui permet d’embrasser la ligne de la vieille ville sur l’azur provençal.


La qualité essentielle de cette réalisation est la virtuosité de la mise en scène des pratiques de l’espace. Le tandem a d’évidence bien fonctionné entre Jean-Marie Rouquette, conservateur passionné par son sujet – l’Arles antique – et l’architecte heureusement chargé de la maîtrise d’œuvre muséographique. Dès l’accueil le ton est lancé : le sens de la visite est orienté virtuellement par un discours à suivre mais le regard embrasse, lui, la fin du parcours du musée avec l’allée triomphale des sarcophages, sur fond pourpre, et se bloque sur le seuil de la salle d’entrée, au pied d’un grand mur en chicane. Une rampe qui monte le long de l’allée des sarcophages vers le tapis des mosaïques et le fleuve, saisissant au passage la file des amphores entre la file des poteaux : la rhétorique moderne d’Henri Ciriani propose une dynamique, qui prend parfois le risque inutile de la caricature, mais qui offre au final à la ville, qui l’a beaucoup attendu, ce musée de l’Arles antique, à la fois musée d’art et page d’histoire, outil de culture dont la force réside dans l’association de la pédagogie et de l’architecture. Tous les Modernes ne sont pas encore enfermés dans l’histoire.
(Caroline Varlet)

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