L'ARCHITECTURE D'AUJOURD'HUI N° 282 SEPTEMBRE 1992

Musée d'archéologie en Arles
(pages 103-111)
Le musée d’archéologie d’Arles, construit en limite de ville et en bordure du Rhône, est actuellement en chantier. Henri Ciriani y développe la figure assez inusuelle d’un triangle ouvert.
(A.A.)

Pour un architecte, avoir à traiter un programme de musée est une chance: c’est un lieu véritablement d’architecture où l’on est autorisé à s’exprimer, où l’absence d’archétype donne une liberté rare. C’est aussi le lieu par excellence de la lumière maîtrisée.



Le musée classique est né de la réutilisation de la figure du palais et de son enchaînement de pièces. Cette typologie n’est pas entièrement satisfaisante, notamment au niveau de l’entrée. Il faut emprunter une invention anglo-saxonne, le lobby. Lieu focal où convergent les circulations (on peut y arriver de quatre rues ou même par le train), le lobby des hôtels new-yorkais est le meilleur exemple d’un accueil à partir duquel tout se distribue et où un ensemble d’informations est donné dans une simultanéité parfaite.



Pour échapper à l’archétype du palais, Wright et Le Corbusier trouvèrent l’un et l’autre le mouvement continu et la forme qui s’y adapte, la spirale. Leur apport a été de mettre en évidence le fait qu’un musée est surtout un parcours, une circulation. Dans un mouvement de descente chez Wright (mais le rapport avec l’entrée est perdu) ; du centre vers l’extérieur chez Le Corbusier (mais il faut passer sous le bâtiment pour aller au cœur de l’édifice et développer ensuite le circuit vers la périphérie). Ces dispositions produisent des bâtiments très autonomes qui ne peuvent pas être contextuels. C’est plutôt au contexte de faire l’effort.



Le thème du musée a réellement émergé dans les années quatre-vingt. Il y a gagné un statut d’édifice majeur. Le projet de Hollein à Mönchengladbach, celui de Meier à Francfort ou de Pei à Washington, celui de Stirling à Stuttgart, ouvrent la voie d’une réflexion sur un édifice pour lequel n’existe guère de référence antérieure. Ces grands équipements tendent à se constituer comme des espaces urbains intérieurs. Ils se définissent dans ce type de spatialité.

Dans notre projet, toutes ces considérations étaient déjà présentes (bien que moins définies), en 1983-84, au moment du concours. Et puis il y avait la ville d’Arles. Le musée se devait d’apporter une nouvelle pièce à l’histoire de la ville. Dans cette presqu’île bordée d’eau, le Rhône à l’ouest, le canal du Midi à l’est, la figure du triangle s’est imposée rapidement. Etrangère à la romanité, elle répond cependant à l’ovale parfait de l’amphithéâtre de la vieille ville, faisant écho aux géométries brutales des grands ensembles de la ville neuve. Du géographique, elle rejoint l’urbain.



Le triangle est une figure qui s’articule en hélice autour d’un centre. Il répond parfaitement au programme qui demandait un circuit court et un circuit long. Mais il représente aussi une sorte de défi : fermé sur lui-même, il est indéformable au niveau constructif, à l’opposé en cela d’une certaine image de l’espace moderne, par définition libertaire, qui aurait plutôt tendance à s’échapper. Comment faire, sans fermer le triangle, pour qu’il reste ? Cette interrogation rejoint mes préoccupations de toujours : comment fermer un espace ouvert, comment ouvrir un espace fermé ? L’hélice, en traitant son centre vide et théoriquement fermé, en l’ouvrant sur le ciel et en construisant le long de ses bras, permet qu’on ouvre l’espace sur les trois directions.

Le programme s’intègre logiquement dans cette figure, avec ses trois secteurs : le scientifique (qui regroupe les opérations de restauration, d’exposition temporaire puis de stockage ainsi que l’école des fouilles), le culturel (où s’effectue l’enseignement, avec bibliothèque, salle de conférence, foyer, administration) et l’école des guides.



Ils forment deux bâtiments qui tiennent entre eux le musée proprement dit. Ils sont travaillés dans une relative souplesse car leur façade, constituée par des parois autonomes revêtues d’Emalit bleu, ne leur appartient pas. La symbolique et l’échelle de ces parois n’ont pas à tenir compte d’une logique interne particulière.


La façade principale est perpendiculaire à l’écluse du canal du Midi, ce qui permet d’ancrer le bâtiment sur un élément artificiel. Cette première paroi, face à la ville ancienne, n’a pas de développement. Elle est l’acte fondateur du projet en même temps que la façade de l’immense cirque qui la jouxte et dont les fouilles sont en cours. Derrière elle, l’aile culturelle apparaît comme un bâtiment blanc sur pilotis à l’intérieur de la cité. De cette première paroi naît la seconde, face au canal, qui va gouverner l’aile scientifique vers la pointe de la presqu’île, laquelle introduit le musée face au Rhône avec son extension vers la ville.


Au centre, le patio contient un grand escalier qu’on emprunte pour achever sur le toit le parcours muséographique. Cet élément remplit le vide central, donne la direction de l’hélice en même temps qu’il la stoppe. On arrive à la hauteur de la cime des arbres. Le musée ici se fond avec son territoire. Ce toit constitue la quatrième façade de l’édifice, tout aussi importante que les trois autres et révélatrice de l’organisation interne par son système d’éclairage zénithal.


L’architecture de l’ensemble est très dépendante du captage de la lumière. Un ensemble de sheds ouverts au nord conduit la lumière loin du périmètre de la façade. Ce type d’éclairement issu du monde industriel a gagné dans le musée un statut proprement architectural. Ici, il forme des vagues de lumière blanche et homogène qui paraissent ruisseler, échappant au plafond.
Un autre type de lumière (qui peut être qualifiée de réfléchie) est obtenue par des potences qui captent la lumière solaire et lui donnent une texture plus colorée. Enfin, les lumières dites "de vue" entrent par des ouvertures toujours cadrées sur le paysage et mises en tension pour que l'espace ne s'échappe pas.


L'Emalit bleu teinte cette lumière d'une nuance plus froide. Ce matériau et cette couleur étaient déjà présents dans des projets plus anciens (notamment celui de l'Opéra-Bastille) où ils obéissaient à une syntaxe précise (bleu pour les éléments contextuels, rouge pour les parties clairement fonctionnelles). A Arles, le bleu se réfère plus simplement à la couleur du ciel provençal si intense.


Les évolutions du programme depuis le moment du concours ont déjà permis de vérifier la pertinence de la figure triangulaire. Ce qui était le musée de l'Arles antique est devenu l'Institut de recherche sur la Provence antique. On est passé de 6000 à 7400 m2, sans qu'en soit affecté le concept de base
 (Henri Ciriani)

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