L'ALSACE MARDI 4 AVRIL 1995

Un écrin pour l’Arles antique
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Les collections de cette vieille cité d’art et de culture bénéficient à présent d’un cadre magnifique dédié à la Méditerranée et à toute sa civilisation. Première visite d’un initié.

Cœur culturel de la ville, le musée en appelle à l’architecture… Notre pays possède un réseau de plus de mille musées, qu’ils soient nationaux, régionaux, municipaux ou privés. Depuis une quinzaine d’années, on assiste à un développement spectaculaire de chantiers d’aménagement, de réhabilitation ou de construction neuve à travers la France qui s’accompagne d’un bouleversement des mentalités. Pour un architecte, avoir à traiter un projet de musée est une grande chance. Lieu de la mémoire, de l’art et de la connaissance, il est devenu partie intégrante de la culture de notre société, se positionnant comme un véritable repère dans la ville. L’absence d’archétype donne, sur ce type de programme, une liberté rare. C’est aussi le lieu, par excellence, de la lumière maîtrisée.


L’enseignement de la muséographie et de la scénographie, comme champ disciplinaire particulier, a fait son entrée à l’Ecole d’architecture de Strasbourg. Un riche cycle de conférences accueille les plus éminents auteurs des réalisations récentes les plus marquantes : Botta, Stinco, Bruno, Buffi, Gaudin… et aujourd’hui, H.Ciriani.


Sous le soleil méditerranéen
Inauguré par le Premier ministre le 25 mars dernier, le musée de l’Arles Antique est une de ces réalisations qui aura mûri près de douze années avant de sortir de terre.
Situé sur une presqu’île bordée par le Rhône à l’ouest, le canal du Midi à l’est, l’édifice est adossé en limite de l’emplacement d’un immense hippodrome.


Ce cirque, dont la construction remonte aux Ier et IIe siècles, destiné à des combats de gladiateurs, dessine une forme de U de 400 m de long sur 100 m de large. Il était capable d’accueillir 20 000 personnes !


Posé à l’intérieur des murs de la ville ancienne, la cité « muséale » a l’ambition d’assurer le lien avec les nouveaux quartiers. Destiné à accueillir les collections archéologiques gallo-romaines de Provence, jusqu’alors éparpillées dans le musée lapidaire, dans l’ancienne église du collège des jésuites et dans les réserves accessibles aux chercheurs, ce site assure également une très passionnante présentation de l’évolution urbaine d’Arles depuis la protohistoire jusqu’à la fin de l’antiquité tardive. Au-delà de sa fonction d’accueil des collections, il abrite un laboratoire de fouilles et une école d’archéologie.

Le triangle de Henri Ciriani architecte
Confié à l’architecte Henri Ciriani, le bâtiment du musée s’inscrit dans une figure géométrique primaire : un triangle, presque équilatéral, évidé en son centre par un patio triangulaire. Il se pose comme fond de scène du cirque romain, découvert partiellement et dont les limites ont été précisément repérées après plusieurs campagnes de fouilles. Cette figure, étrangère à tout archétype de la ville romaine, répond cependant à l’ovale parfait du cirque et du cercle des arènes.


D’entrée, le musée frappe par sa présence intemporelle ; une réelle sensation d’équilibre et de sérénité s’en dégage. L’intense couleur bleue de la façade, rythmée par un jeu savant de volumes en creux et en saillie irradie le paysage en se référant au ciel d’azur provençal.


Notre époque, souvent marquée par les indignations des amis des vieilles pierres et des écologistes de tous poils, scandalisés par les opérations immobilières avant tout soucieuses de leur rentabilité, ont trop souvent conduit tout droit au mimétisme stylistique, ici, rien de tel !


Tentons la comparaison, toute proportion gardée, avec la silhouette de l’Arche de la Défense qui a stabilisé, transcendé un lieu parfaitement banal. L’édifice affirme sa présence sans détour et révèle un site.


Le programme s’intègre logiquement dans cette figure, avec ses trois secteurs : le scientifique (restauration, expositions temporaires, stockage, école de fouilles), le culturel (enseignement, bibliothèque, salle de conférence, foyer, administration) et le musée. Le bâtiment s’affirme comme un espace clos, à l’image des constructions arabes, replié sur son patio. Au centre du patio, un grand escalier permet d’achever le parcours muséographique en accédant sur la toiture qui offre un panorama sur la ville. Le musée ici se fond avec son territoire.


Pour l’architecte, le toit constitue la quatrième façade, aussi importante que les autres et révélatrice de l’organisation interne par son système d’éclairage zénithal.

La magie de la lumière
L’espace intérieur de ce musée recèle nombre d’ambiances lumineuses, maîtrisées avec une virtuosité qui touche à la perfection.


La surface d’exposition consacrée aux collections permanentes s’étend d’un seul tenant et la muséographie (assurée par le même concepteur) s’empare naturellement de son espace, sans craindre le dialogue avec l’ombre et la lumière.


L’éclairement zénithal coexiste avec des sources latérales : des baies cadrent le Rhône et ses platanes noueux et celles ouvrant sur le patio.


La plafond est composé par un ensemble de sheds, ouverts au nord, qui conduisent la lumière à l’intérieur du périmètre de la façade. Ce type d’éclairement, issu du monde industriel, a gagné dans le musée un statut proprement architectural. Cette lumière se propage depuis le plafond, formant des vagues arrondies diffusantes.

Le parcours entre sol et plafond
Le sol et le plafond constituent pour H.Ciriani des surfaces à part entière, dégagées des appareillages et des équipements, surfaces de liberté pour l’architecte, à l’inverse des parois « appropriées » par les conservateurs comme support des œuvres.


Sur le sol, la « Pietra serena » (une pierre grise de Florence) contraste avec les surfaces laissées en béton apparent et confirme la référence au lieu sacré.


En référence à l’héritage grec, le mur aveugle de cet immense espace a été conçu sur le modèle de la Stoa, c’est-à-dire la galerie située dans les temples grecs, entre la paroi et les colonnades. Cette surface, peinte d’un enduit marmorella rouge, alimentée d’une lumière indirecte rayonne et irrigue tout le musée en créant une irrésistible attraction vers elle. Il s’agit là d’une éloquente illustration de la capacité de la matière colorée à « faire de l’espace » !


La raison de la forme, la pertinence de la figure, la rigueur de la composition ont été vérifiées ici et ont réussi à maîtriser les contingences d’un programme pourtant très évolutif. Mais rien n’a affecté le concept de base depuis la phase du concours d’architecte.


Formulons le souhait que le succès futur de ce musée renforce le considérable capital culturel constitué autour des artistes attaché à ces terres, Van Gogh, Goya, Picasso, au-delà de sa richesse architecturale exceptionnelle, inscrite par l’UNESCO au patrimoine mondial et constitué des édifices romains et romans. Puisse également la connaissance du passé nous éclairer, pour mieux comprendre le présent.
(Michel Spitz)

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