ARCHITECTURE INTERIEURE CREE N°258 MARS AVRIL 1994

Sous le soleil exactement
(pages 72-79)
Le bleu méditerranéen est-il en voie de devenir une nouvelle symbolique régionaliste? En Arles, Henri Ciriani poursuit ou parachève sa réflexion sur une éventuelle typologie du bâtiment muséal mais s'interroge aussi sur la capacité de représentation de l'institution dans la culture locale. Contrairement à Alsop, la réponse de Ciriani plonge aux sources et aux racines de la culture antique....
(CREE)

Si depuis les musées-palais du Second Empire les musées n'ont cessé de se construire, c'est avec l'accélération de la commande publique, dès les années 80, que la question d'une typologie moderne s'est réellement posée. L'exercice était d'autant plus difficile qu'il n'existait pas de pensée archétypale, mises à part les propositions de Wright et de Le Corbusier, par ailleurs peu convaincantes. L'Institut de Recherche sur la Provence Antique qu'achève aujourd'hui Henri Ciriani est donc à prendre pour un manifeste théorique, ce qui n'enlève rien à sa subtilité et à la qualité de l'émotion qu'il procure. Une construction très lente à sortir de terre puisque le projet date de 1983, mais pour laquelle, selon son auteur, ce temps de réflexion a été source d'enrichissement à la manière de strates et de sédiments superposés. Il est vrai qu'entre temps l'Historial de Péronne, quoique de plus petites dimensions, a permis à l'architecte de vérifier certaines hypothèses: le rôle de la lumière, la notion de parcours, la place de l'accueil. En Arles, s'ajoute une réflexion spécifique sur la "méditerranéité" et la couleur.


Dans l'édition que nous avions consacrée aux musées (décembre-janvier 92), l'architecte s'était longuement expliqué sur l'importance qu'il accordait aux équipements liés à l'accueil (librairie, cafétéria, espaces dégagés): loin d'y voir l'irruption des marchands dans le temple, il y décelait au contraire le fondement du renouveau muséal. Avec les aéroports, les musées seraient les derniers lieux à proposer une vision utopique de notre société, même s'il précise qu'il s'agit d'une "petite utopie". Dans ces lieux, l'individu se sent traité au travers des services qui lui sont proposés avec déférence. Dans un monde qui a perdu ses repères et ne propose plus de projet de société, il est légitime de se tourner vers le passé pour retrouver des racines mais surtout pour être confronté à l'original et à l'authentique. En l'occurrence, le bâtiment d'Arles est plus qu'un musée ou même une cité muséale, dans la mesure où outre les collections gallo-romaines de Provence (statuaires, sarcophages, urnes funéraires), il accueille également un laboratoire de fouilles et une école d'archéologie.

Une lisibilité par la couleur
La cité s'inscrit dans un triangle presque équilatéral, évidé en son centre par un patio triangulaire. Vu de loin, le bâtiment se situe sur une langue de terre entre Rhône et canal du midi, faisant face au centre historique. En contrebas, un ouvrage de béton brut encadre les vestiges d'un amphithéâtre romain récemment exhumé.


La construction apparaît ceinturée d'une longue bande bleue de 130 mètres de long. Une savante composition de volumes, en positif ou en négatif vient discrètement rythmer ces bandeaux monochromes. A l'image des constructions arabes, la cité s'affirme donc bel et bien comme un espace clos, replié sur son patio-ombilic et qui observe la ville de son toit-terrasse. Ainsi, aucune hiérarchie de façade n'est clairement exprimée. L'entrée de l'Institut lui-même n'est pas magnifiée: l'escalier et la rampe situés sur la façade nord, qui s'offrent tout d'abord à la vue, sont d'un usage parallèle, desservant l'auditorium.


Pourtant, le bâtiment entretien des rapports étroits avec la monumentalité et la nécessité de signifier le rôle social de toute institution. Les portiques qui évident les bandes en leurs extrémités rappellent ici en un condensé elliptique l'héritage grec (cette langue fut parlée en Arles jusqu'au Vème siècle). L'entrée du musée se situe d'ailleurs à la croisée de ces pans, dans l'angle est. Le symbole propre à exprimer la monumentalité est à rechercher dans le choix du matériau venant habiller les façades. Le marbre des temples grecs ayant aujourd'hui perdu de son prestige, Henri Ciriani lui a préféré l'Emalit, s'agissant du produit le plus sophistiqué actuellement disponible sur le marché. Les plaques sont fixées sur le béton par des cabochons de même teinte et clairement dissociées les unes des autres, exprimant par là même la volonté de ne pas masquer pour autant le béton brut en dessous. La teinte a été mise au point spécialement avec Saint-Gobain, de manière à retrouver le ciel d'Arles – elle est depuis disponible dans le commerce.


Si la couleur exprime l'image de l'institution et son identité méditerranéenne, elle contribue également à la lisibilité des usages. Chaque aile a reçu une teinte spécifique, que l'on retrouve en extérieur dans les éléments saillants ou en soubassement, mais aussi à l'intérieur. Ainsi sur la façade faisant face à la ville, qui abrite l'aile culturelle (bureaux administratifs, auditorium, etc.), les boîtes en saillie et la rampe du premier plan sont blanches. Le soubassement de l'aile accueillant les laboratoires de fouilles et l'école est en céramique rouge romain (le même que celui des fresques de Pompéi), se référant ici clairement à la terre. Quant à la cité scientifique, située en bordure du Rhône, elle est grise, souvent laissée en béton apparent. Cette logique des trois teintes s'interrompt toutefois en quelques endroits précis, la valeur de toute règle se mesurant à sa capacité à être transgressée! L'escalier de secours, proche de l'entrée, est vert amande; de minuscules bandes de couleurs rythment la façade grise sur le fleuve, à la manière des échantillons d'un nuancier; à l'intérieur, une porte est peinte en trois couleurs "bauhaus" noir, rouge et jaune, en fait la seule à constituer un contrepoint vibratoire à la composition.

Le parcours, entre sol et plafond
Le positionnement en angle de l'entrée permet d'embrasser d'emblée une vision complète de l'espace. Ici, 3000 m2 sont répartis sur un seul niveau, avec au premier plan les espaces d'accueil. A partir des 80 m2 demandés par le programme, Henri Ciriani a proposé 400 m2, qui ont été acceptés. Aujourd'hui, si l'on ajoute les espaces de circulations, la superficie en rez-de-chaussée s'étend à 600 m2, les cafétéria et librairie étant reportées à l'étage et sur le toit.


La surface d'exposition consacrée aux collections permanentes s'étend ensuite d'un seul tenant, sans partition de l'espace (une grande victoire sur les réglements incendies, rendue possible par la multiplicité des sorties). Les laboratoires de recherche et le secteur culturel (atelier des enfants, auditorium) sont positionnés en façade, n'occupant qu'une partie de l'aile qui leur est consacrée.


Le parcours s'amorce donc (relativement) modestement, pour déboucher ensuite sur une immense salle d'une double hauteur (7,10 m). Le sol et le plafond constituent selon Henri Ciriani les deux seules surfaces sur lesquelles l'architecte est libre d'intervenir en amont. En effet, les conservateurs s'attribuent les parois, supports des œuvres; le concepteur n'interviendra qu'une fois la muséographie arrêtée, pour architecturer l'ensemble. Un raisonnement qui, par son réalisme, répond à l'accusation fréquente faite aux architectes de concevoir des musées à la seule gloire des lieux, occultant ainsi les œuvres!


Le sol et le plafond constituent donc selon Ciriani des surfaces à part entière, dégagées le plus possible des appareillages et autres équipements. Ainsi, les ventilateurs et convecteurs sont simplement ponctuellement installés au sol. Le plafond est uniquement rythmé par les sheds. Ceux-ci sont disposés en épis plutôt que dans l'alignement des poteaux et des murs, afin de faire oublier leur présence. Orientés au nord, ils diffusent une lumière uniforme, adoucie par la forme arrondie de la retombée. Les appareils d'éclairage sont intégrés dans le système; ils sont fixés sur la partie verticale du shed, légèrement en saillie de manière tout à la fois à souligner et adoucir la transition entre béton et lumière. La régulation de ces différents appareillages est orchestrée par une gestion informatique centralisée.


L'éclairement zénithal coexiste avec des sources latérales: les baies cadrant le Rhône et ses platanes noueux (en attente d'un traitement paysager) et celles ouvrant sur le patio. La combinaison des sources produit une lumière tamisée propice à une atmosphère recueillie. Le bruit des pas sur le sol pavé de pietra serena (une pierre de Florence, claire et poreuse), ajouté à la fraîcheur de l'été, confirme la référence au lieu sacré.


Autre référence à l'héritage grec, le mur aveugle de cet immense espace a été conçu sur le modèle de la Stoa, c'est à dire la galerie située dans les temples grecs entre la paroi et les colonnades, tournée vers l'agora, l'espace démocratique. Etant adossée aux laboratoires, cette surface a été peinte d'un enduit marmorella rouge. Toute proche, une rampe surplombe une faible fosse où seront déposées des mosaïques.


L'Institut devrait ainsi ouvrir ses portes à la fin de l'année, lorsque la mise en place muséographique sera achevée. Dans cette ville pauvre, actuellement en redressement judiciaire, le bâtiment représente un tour de force et un miracle de consensus politique. En effet, le concours a été lancé par la mairie en 1983 juste avant que celle-ci ne perde les élections. L'équipe en place ayant eu l'intelligence de ne pas juger la consultation, la nouvelle municipalité a repris ce grand dessein à son compte, déclarant Henri Ciriani lauréat un an plus tard au terme d'un second tour. Longtemps en panne, les travaux liés à la muséographie ont pu reprendre l'année dernière grâce à une supplémentaire de l'Etat qui a enfin permis de boucler le budget de 120 MF: soit le tiers seulement des sommes annoncées pour la réfection de Beaubourg.
 (Françoise Arnold)

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